Camille Serac

Bonjour, approchez-vous, asseyez-vous. Détendez-vous. Comment vous sentez vous ?
[La jeune fille plisse les yeux] Comment je me sens… ? Non, mais, vous déconnez, ou quoi ? Ma mère est morte y’a quinze jours, on m’a collé un genre de gros balourd débile et guindé dans les pattes, on m’a filé une tonne de devoirs à faire sous prétexte de me « changer les idées », j’me retrouve dans un sale petit réduit en face d’un autre psy pour blablater ma vie, et vous m’demandez si j’me sens bien ! … Pfff… [Elle renifle, les lèvres serrées, et les larmes aux yeux] Vous avez bien un dossier, non ?

Camille, cet entretien est important. Reprenons depuis le début, et calmez-vous, surtout. Je ne suis pas là pour vous faire du mal. Vous dites que votre mère est morte… Racontez-moi ce qui s’est passé.
Ben… c’est… c’était… stupide. Mais quand je dis stupide… c’est genre… méga stupide. En fait, elle travaillait tard tous les jours. Des fois, elle était de garde à l’hôpital, parce qu’elle est… elle était médecin.  Alors quand elle rentrait, elle était toujours très fatiguée. Quand je suis rentrée de l’école, elle s’est levée, elle a buté contre un truc qui trainait, et elle est tombée. Elle… elle s’est tapée la tête contre la table…. [La gamine cache son visage dans ses mains] et elle est restée dans le coma pendant plusieurs jours. Ensuite, ils ont dit qu’elle était en état de mort cérébrale… qu’il fallait la débrancher. Qu’on allait s’occuper de moi. [Assez nerveusement, elle se frotte le nez, avant de s'étaler dans le siège, avec une fausse nonchalance.]

Parlez-moi de votre père, Camille.
Ça non plus, c’est pas dans mon dossier ? C’est pas du boulot, ça… Bon, il semblerait qu’il y en ait pas. Donneur anonyme, ma mère a été inséminée. Même qu’elle est, qu’elle était super-fière, parce qu’elle a pas besoin d’hommes pour se débrouiller. Genre elle était pleine aux as sur Terre, parce que notre famille possédait un genre de casino, quelque chose comme ça. En tout cas, elle voulait un enfant et le programme d’insémination du vaisseau lui attribuait une prime. Du coup, c’était parfait pour elle. Et pour anticiper votre question, j’ai pas de père, et j’en suis fière. Et ça me manque pas du tout.

Je vois. Mais maintenant, il va certainement y voir des changements au niveau économique dans votre vie. Votre mère vous a t-elle laissé des économies ?
Eh bien... avec maman, on parlait pas souvent d'argent... Euh... je crois qu'on en a un peu, mais je crois savoir qu'elle a surtout utilisé une grosse somme pour se faire des implants. Pour mieux exercer, je crois. Enfin, bref, ils m'ont de toute manière que j'aurai des nouvelles la semaine prochaine, parce que tout ça, pour que je touche l'argent.. c'est compliqué. Enfin, je dois dire que je n'y avais pas... pensé.
Elle m'a forcément laissé quelque chose, elle était médecin après tout !

D'accord... Je vous conseille de vous renseigner, Camille. Et maintenant… parlons de ce « balourd débile et guindé » ?
C’est un sergent, je crois. Ils ont personne et ils ont dû s’dire que j’pouvais pas rester seule. Ils vont me trouver une famille d’accueil, mais j’ai pas encore de nouvelle. Moi, j’ai pas envie… J’ai pas b’soin d’une nouvelle famille, je suis grande. Enfin, à vrai dire, avec le sergent, on s’entend pas trop. Il m’a interdit d’fumer, de me coucher trop tard, de regarder la télé, et des fois il fouille ma chambre ! C’est un vrai taré ! Il dit qu’c’est son devoir, ou un truc comme ça. Il fait des choses pas bonnes à manger, et il arrête pas d’faire la gueule. Un vrai boulet… et vous savez pas la meilleure ?! Il dit qu’j’ai aucune notion d’l’argent, et qu’il faudrait que je trouve un petit boulot pour prendre l'habitude de la vraie vie ! Comme si j'avais pas assez de devoirs comme ça... quel débile. J’ai vraiment hâte qu’il dégage de not’cabine. Enfin, de ma cabine. Je suis sûre qu’il pense la même chose !

D’accord. Quel est votre quotidien ?
Oh, mais c’est pas vrai… Ça s’arrête quand, cet entretien… Pfff… Ben, quand j’étais avec maman, je sais pas… rien qui sorte de l’ordinaire. On allait au restaurant quand elle était là, je sortais avec mes copines, j’allais à l’école. J’ai un an d’avance, j’vais entrer au lycée. Des fois, j’allais faire la fête avec les autres, et puis.. et puis je bosse. En fait, j’aimerai bien m’mettre à un sport de combat, quelque chose qui m’change les idées. Et parlez pas des devoirs, ça, ça lourderait n’importe qui ! Avec le sergent, on va même plus au restaurant, il dit que c’est de l’argent foutu en l’air. Qu’est-ce qu’il en sait, hein, si maman disait qu’c’était bien, alors…  Enfin.. bref, j’veux plus parler de lui. Ah oui, et je continue à faire du piano. J’adore le piano, c’est ma drogue. Même que maman en a loué un pour moi, un piano électronique. C'est tellement cool !


Vous sortez beaucoup ? Vous avez une vie sociale active ?
C'est sûr que j'aime aller faire la fête. On va dans des bars, on va visionner des films, on se promène dans les coursives ou au centre commercial... [Doucement, la jeune fille pencha sa tête. Mieux valait ne pas dire à l'entretien bisannuel qu'ils avaient été en discothèque en payant le videur pour qu'il les laisse rentrer. Voilà qu'il fallait taire pour continuer à s'amuser sans souci...]. Je ne sais pas, c'est le genre de choses que tout adolescent normal ferait ! J'aime bien aller travailler à la bibliothèque, aussi, pour avoir du calme. Mais... mes copains ne comprennent pas trop, alors j'évite de leur dire. Sinon, je suis beaucoup sur internet pour tchater avec eux. C'est maman qui m'a montré comment faire, elle adore... adorait internet. [A nouveau, Camille tenta de refouler de grosses larmes] Elle me manque, mince...

Je vois. Sinon, avez-vous des ambitions pour l’avenir ? Un projet pour vos périodes de stages obligatoires ?
Oui, bien sûr que j’en ai. L’avenir, c’est important ! Alors euh… La médecine, bien sûr, parce que j'aimerai d'venir neurologue, mais en même temps, j’aimerai bien devenir astrophysicienne, dessiner notre chemin à travers l’espace. Alors c’est possible que j’fasse une demande. Je sais pas si ça sera accepté, bien sûr. On verra. Ou alors pianiste, et faire mes propres concerts. Vous en pensez quoi ?

Je ne suis pas là pour répondre à vos questions, Camille. Reconcentrez-vous et répondez aux miennes. C’est beaucoup d’ambition, tout cela.
Maman pense qu’il faut en avoir, sinon on arrive à rien. Que plus les études sont longues, plus on a de chances dans la vie. A vrai dire, j’ai plus trop le moral depuis l’accident. J’me demande surtout comment ça va se passer… [Camille gonfle ses joues, avant de lever les yeux au plafond] J’aimerai pouvoir tout oublier. Tout oublier… que rien se soit passé…

Vous estimez que c’est de votre faute ?
J’en sais rien et j’refuse d’en reparler !

Bien, je n'insisterai pas, il est compréhensible d'être perturbée dans ce genre de circonstances. Et comment ça se passe à l'école ? Vous avez dit que vous aviez un an d'avance ?
Oui. J'ai sauté la dernière année de collège, parce que j'avais beaucoup d'avance, surtout en mathématiques et en littérature. Maman m'a pas mal aidé à réviser, et puis les langues, ça sert à rien, chuis une Vidarienne, moi. On est plus sur la vieille Terre... alors du coup, j'me suis concentrée dessus, et j'ai pas une mauvaise mémoire. Mais je m'entends pas très bien avec les professeurs... soit disant qu'je bavarde trop et que j'leur réponds. C'est pas de ma faute s'ils se trainent des boulets qui comprennent rien, en classe !

Et la santé ? Vous dormez bien ?
Mon asthme a augmenté ces dernières années. J’ai fait une très grosse crise la semaine dernière, mais sergent Ducon m’a emmené à l’hôpital. Ils disent que c’est le stress. Pareil pour les insomnies, mais j’vais m’en sortir. Je suis pas une gamine, moi, chuis une adulte ! Alors j’vais très bien. Carrément.

Très bien Camille. Nous en avons terminé. Portez-vous bien.

Bon, bon ! Alors je m’appelle Laura, j’ai 31 ans, je suis éducatrice. J’ai une très jolie toute petite fille, et un doux mari qui m’encourage à écrire, parce que j’adore ça. Voili voilou !